Nous sommes une famille disloquée, détraquée. Avons-nous jamais été autre chose?
Les premiers mots
Vendredi 22 mai
Dans notre famille, les hommes ne restent pas.
Vrai, quand on y songe, ils n’ont jamais rien fait d’autre que s’éloigner, prendre le large, et s’affranchir de nous, les femmes, condamnées à demeurer au pays, reliées à la terre. Je n’ai cessé de me demander d’où ils tenaient cette attirance pour d’autres ciels, alors que le ciel est le même partout.
J’ai découvert Philippe Besson en 2012 avec « Une bonne raison de se tuer » et j’avais aimé cette atmosphère dramatique et avouons-le terriblement déprimante.
C’est avec grand plaisir que je l’ai retrouvé dans ce petit livre qui raconte les derniers jours du poète Arthur Rimbaud, ceux-ci livrés par sa sœur Isabelle sa cadette.
L’histoire commence le 22 mai et se termine le 14 novembre, quelques jours après la mort d’Arthur Rimbaud.
Le poète de 36 ans revient dans la maison familiale après avoir voyagé en Afrique pendant une dizaine d’années. C’est un retour forcé, car une gangrène s’est déclarée au niveau du genou, malheureusement cette opération se termine par une amputation qui va vite se dégrader. Arthur en mourra. Il retrouve sa sœur, une petite trentaine, qui n’a pas quitté la maison familiale et qui est restée célibataire (elle se mariera après la mort de son frère).
Pendant des jours, Isabelle prend note de ses pensées, évoque des souvenirs de jeunesse avec ce frère pas comme les autres et retranscrit les conversations entretenues avec Arthur.
On se rend compte qu’Isabelle est admirative de son frère, malgré ce qu’elle laisse croire. Elle y note qu’il la déçoit car il ne se tourne pas vers Dieu et en même temps, on ressent de l’admiration quand elle écrit que lui, il a pu s’échapper de leur maison, de leur condition de fermiers et surtout de leur mère.
Ai-je jamais fait autre chose, depuis l’enfance, qu’espérer en secret le salut pour mon turbulent, effroyable et merveilleux aîné?
Cette mère préfère Isabelle. Elle, au moins, est restée pour l’aider et puis elle, contrairement à son frère, n’a pas de « moeurs légères ». Quand Arthur revient, amputé, malade, dépressif, elle ne sera d’aucun secours et aucun geste tendre ne sera partagé. Arthur ne s’en soucie guère, il a sa sœur. Leur enfance a été marquée par son austère autorité et ses principes fondés sur la foi chrétienne.
Elle nourrit une sorte une sorte de méfiance naturelle à l’égard des introspections, des confessions, et de ceux qui s’y abandonnent, qui s’y abiment. C’est elle qui a recouvert nos vies d’une chape de plomb. Elle qui nous a réduits au silence, à son silence.
Durant ces quelques mois, Arthur s’est livré à sa sœur, comme s’il se confessait. Elle est son soutien infaillible, celle qui peut tout supporter, qui peut tout entendre.
Son journal sert de mémoire. Elle avoue qu’elle changera quelques aveux afin que son frère ne rentre pas « souillé dans l’Histoire ». Aurait-elle parfois honte de ce qu’il a été?
J’ai trouvé ce récit très beau. Philippe Besson a su m’emmener dans les recoins les plus profonds de cette sœur qui livre sans pudeur ce qu’elle peut ressentir pour ce frère tant aimé. Il y décrit avec brio une relation fraternelle tiraillée entre des non-dits, de l’amour et une certaine jalousie d’Isabelle. Elle veut garder son frère pour elle, celui-ci est parti trop longtemps pour qu’il s’en aille de nouveau.
Pour ce récit, l’auteur s’est documenté grâce au livre de Jean-Jacques Lefèvre « Arthur Rimbaud ». Certains passages sont extraits de correspondances entre les deux Rimbaud, ce qui rend le roman encore plus intéressant.
J’ai apprécié qu’Isabelle soit placée au premier plan. Que Besson lui donne la parole ainsi qu’à leur mère.
Dans une lettre arrivée tout à l’heure, voici ce qu’elle [la mère] exprime: « Cette maladie est un châtiment de Dieu, ma fille. Ton frère paye pour ses péchés, ne t’y trompe pas. Même si notre tristesse est grande, songe qu’il y aurait eu une injustice à ce qu’il fût exonéré de ses fautes. Et c’est pourquoi tu ne risques pas, toi, d’être contaminée. Notre Seigneur ne se trompe jamais: Il sait qui sont Ses fidèles serviteurs. » Le jour où l’on m’interrogera à propos de ma famille, j’aurai détruit ces mots.
– Les jours fragiles de Philippe Besson, Edition Pocket, 2005, 152 pages–
Très intriguant… Et le «dramatique» et «terriblement déprimant», ça me plaît toujours!!
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Oh moi aussi… D’ailleurs ma chère maman me dit que je devrais varier mes lectures..lire du joyeux! 😉
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Je serais curieuse de découvrir ce roman ! Je note le titre 🙂
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Il permet de découvrir Rimbaud autrement😉
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Étrangement j’oublie toujours que Raimbaud a « vieilli » – je le vois toujours adolescent .. pour le roman, je reste plus sur mes réserves. Enfin, disons moins tentée !
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J’ai la même impression, pour moi il a toujours cette tête d’ado que j’aime tant! Et ce qui est intéressant dans ce livre c’est que même adulte on le sent encore immature et très anarchique. ☺
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ah ! 36 ans ça fait « vieux » tout d’un coup ! à y repenser ce livre finira peut-être entre mes mains!
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Un auteur qui m’a déjà beaucoup déçu et auquel je n’ai pas envie de donner une nouvelle chance. Il y en a tant d’autres à lire 😉
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Verdict sans appel! Ce n’est donc pas pour toi. 😉
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L’un de mes auteurs chouchou! Et un autre titre à découvrir grâce à toi! 🙂 On poursuit quand tu veux avec une LC si tu veux remettre le couvert :p Je suis dans « Un homme accidentel »! Cet auteur, il se savoure!
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Ca me plairait bien, mais peut-être pas pour tout de suite!
Mais ça me fait penser que j’ai réservé « Les passants de Lisbonne » à la biblio ( que tu as déjà lu!)
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Je t’avoue que je n’ai jamais lu Philippe Besson. Grâce à toi, je découvre un peu, merci !
Pourquoi pas ce titre ? Le sujet m’intéresse, j’aime beaucoup les histoires de frères et soeurs un peu excessives, et puis tu en parles bien !
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C’est un auteur que j’apprécie 🙂 . Un autre de ses livres m’attend! Il s’agit de « Les passants de Lisbonne ».
Je te souhaite une excellente découverte!
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