Bien sûr que les poissons ont froid – Fanny Ruwet 

C’est fou d’avoir si souvent envie de crever et tellement peur de mourir.

Les premiers mots

On s’est rencontrés en 2019. J’avais 15 ans , Nour en avait 16. Pendant plusieurs mois, il a été ma raison de me lever chaque matin. Il m’a apporté de la douceur quand tout semblait rugueux et m’a laissée croire que j’avais une place à moi. Il m’a permis de sortir d’un gouffre sans fond dont je ne pensais jamais pouvoir m’extirper.
Douze ans plus tard, je ne suis même pas certaine qu’il ait existé

Lire la suite

Atlantique Nord – Romane Bladou 

on nage, on se perd, on cherche une chambre dans laquelle se reposer, s’allonger quelques instants. On y trouve des crevasses et autres cratères aquatiques où sont cachées des femmes lompes.

Les premiers mots

Camille a trouvé refuge sur un rocher glissant. Sur quelque mot familier, entendu dans cette langue aux accents qu’elle ne comprend pas, qui se parle dans des foyers de lumière, derrière la fenêtre, là-bas. Cela fait bientôt trois semaines qu’elle est arrivée, au bout du bout, à l’est de l’est comme elle aime à le penser.

Lire la suite

Thelma – Caroline Bouffault 

Thelma consume toute son intelligence, investit tout son temps dans l’anorexie. Si le mal disparait, alors quoi? Qu’est-ce qui tient les autres, toutes la journée? Quel est l’objectif?

Les premiers mots

Deux litres et demi en trois quarts d’heure, la crue menace. Des gouttelettes se forment sous les aisselles et sur la poitrine plate de Thelma. La contraction de ses muscles lui rosit le front et les joues, tant mieux, ça lui donnera bonne mine.

Lire la suite

Trois Sœurs – Laura Poggioli 

Il ne faut surtout pas que le chagrin dépasse, même s’il brûle très fort la gorge. parce que le chagrin c’est comme la peur: quand on le veut vraiment, on peut le garder à l’intérieur.

Les premiers mots

Un soir de l’été 2018,
Chaussée Altoufievo
Il n’est pas grand l’appartement. Un salon avec cuisine, deux chambres, une salle de bains, des toilettes. La tapisserie n’a plus de couleur. Jaune-marron, elle n’a pas été changée depuis les années Gorbatchev, quand c’était encore un appartement communautaire.

Lire la suite

Ohio – Stephen Markley 

Et puis ils étaient partis, créatures infinitésimales arpentant la surface du temps, essayant en vain d’exprimer des rêves éternels, errant depuis leur naissance à travers des cieux solitaires.

Les premiers mots

Il n’y avait pas de corps dans le cercueil. C’était un modèle Star Legacy rose platine en acier inoxydable 18/10 qu’on avait loué au Walmart du coin et enveloppé dans un grand drapeau américain. Il descendait High Street sur une remorque à plateau tractée par un Dodge Ram 2500 de la couleur des cerises trop mûres. Un froid hivernal avait envahi le mois d’octobre et des bourrasques cinglantes et erratiques fendaient New Canaan, aussi imprévisibles que des caprices d’enfant.

Lire la suite

Aux endroits brisés – Pauline Harmange 

À l’intérieur de moi, c’est froid. Je n’ai plus très envie de m’habiter.

Les premiers mots

J’ai voyagé dans une Clio abimée, avec un vieux couple abimé qui tentait une escapade en bord de Loire pour recoller tout ça, pour repeindre la carrosserie peut-être seulement. Il a fallu partager avec eux des bribes éparses de ma vie, puis surtout de la leur. Au bout de cinquante kilomètres, ils avaient saisi l’ampleur du problème : je n’aime pas parler.

Lire la suite

Un bref instant de splendeur – Ocean Vuong

Je ne sais pas si tu es heureuse, Maman. Je ne t’ai jamais demandé.

Les premiers mots

Je recommence.

Chère Maman,

J’écris pour me rapprocher de toi – même si chaque mot sur la page m’éloigne davantage de là où tu es. J’écris pour revenir au jour où, sur l’aire de repos en Virginie, tu as fixé, horrifiée, le chevreuil empaillé suspendu au-dessus du distributeur de sodas à côté des toilettes, tandis que l’ombre de ses bois s’étendait sur ton visage. Dans la voiture, tu n’arrêtais pas de secouer la tête. «Je ne comprends pas pourquoi ils font ça. Ils ne voient pas que c’est un cadavre? Un cadavre, ça doit s’en aller, pas rester coincé comme ça pour toujours.»

Lire la suite

Les collectionneurs d’images – Jóanes Nielsen

Le cercueil fut ramené au pays par cargo et, parmi ceux qui écrivirent un éloge funèbre, il y eut Kári.

Les premiers mots

Djalli fut le premier à mourir de la classe d’âge 1952 de l’école Saint-François. Son véritable prénom était Djóni, mais les élèves ne l’appelaient jamais que Djallo, et peu à peu, les nonnes aussi se mirent à utiliser ce surnom particulier, aux sonorités vibrantes. Et Djalli ressemblait assez à son surnom. Si, d’après un son, on essayait de s’imaginer une ambiance, alors djaller pourrait avoir quelque chose à voir avec la légèreté et la fuite. Dès ses onze ans, il mourut d’une méningite.

Lire la suite