Les attachants– Rachel Corenblit

Elle insistait, il détournait la tête.
C’était un signal d’alerte.
Le dernier. Le plus grave Celui qu’elle n’aurait pas dû laisser passer.

Les premiers mots

Le gamin se tenait devant la porte, qu’elle avait laissée entrebâillée. 
Emma. Elle s’appelle Emma. Elle trouve son prénom trop simple. Elle aurait adoré se nommer Iphigénie ou Cassandre. Un prénom qui résonne, qui a une histoire. Elisabteh, ou même Athéna. On ne prononce pas Athéna de façon anodine. Les références collées au nom que l’on porte, c’est comme si on avait déjà vécu une vie.

Si comme Emma vous poussez la porte de l’école Les Acacias, vous semblerez perdus. Vous avancerez à reculons. Et puis, parce qu’il le faut, vous vous tiendrez devant ces enfants fragiles, solitaires, joviaux, casse-pieds, insipides, violentés, seuls, aimés, trop-aimés, abandonnés. Etre professeur a toujours été sa vocation, mais comme tout jeune sorti des études, il est difficile d’avoir SA classe, SON établissement. Il faut jongler entre les écoles, les élèves, les institutions, les directeurs, les régions. Ça fatigue et c’est minant. Pourtant Emma ne lâche rien. Mais cette année sera singulière, elle aura envie de tout quitter et de ne plus avoir à faire à ces gamins. Car cette nouvelle classe est particulière. Comme si tous les cas sociaux s’étaient regroupés au même endroit, Emma va devoir apprendre à gérer des situations très difficiles et surtout à remarquer les indices avant que les drames n’arrivent et pour certains ce sera trop tard. Cette année sera marquée également par un « petit » cataclysme dans sa vie personnelle auquel elle n’était pas préparée.

Emma les a regardés, ses enfants, ses élèves, sa troupe, ses mômes, ses pourritures, ses petits loups, ses horreurs, ses gamins, ses grands, ses morveux, ses mignons. Ses attachants, ses chiants. Ses attachiants. 

De Rachel Corenblit, j’avais adoré « Que du bonheur!« , un livre destiné à la jeunesse qui ravira les adolescents. Ici, c’est un changement de style et de cible. Celui-ci est plus adapté à un lectorat adulte ou grands adolescents. Cette plongée dans la vie d’une jeune professeur m’a parlé, j’y ai reconnu beaucoup de situations qui font que certains enseignants quittent le métier très tôt. L’autrice qui a été enseignante nous propose une facette peu glorieuse de l’enseignement.
On pourrait penser à un règlement de compte mais il n’en est rien car ce qu’elle exprime à travers ces pages, c’est ce que tout jeune instituteur/professeur peut ressentir au cours de son début de carrière.

La construction du roman n’est pas linéaire, il y a des flashback, des sauts dans le temps et cela apporte une belle dynamique à la lecture. 

(…) La vocation, c’était un mythe, un délire romantique, qu’il fallait vider de ses idéaux pour appréhender la substantifique moelle du métier: apprendre à survivre.

Mais le véritable sujet est celui de l’attachement et du lien que les enseignants construisent avec leurs élèves. Emma sera confrontée à la misère humaine et devra y faire face, seule ou accompagnée de son directeur en qui elle peut avoir confiance. Tout au long du livre, Emma nous raconte la vie personnelle de ses élèves et les répercussions sur leur vie scolaire. Les portraits sont dressés et pendant un an nous les suivons. Certains sortent du lot, comme Yaël qui n’arrive pas à se retenir, Michel le gamin mal dans sa peau, Karima l’intelligente, Caïn et son prénom d’assassin et puis surtout Ryan qui envoie des signes difficiles à déchiffrer. Elle se permet aussi de nous montrer ce qu’ils sont devenus dix ans après. Ce qu’ils sont devenus et ce qu’ils ont réussi à surmonter.

En refermant ce livre, on espère que tous « ces attachiants » auront une vie digne.

Si le thème de l’enseignement vous intéresse, je vous conseille le très beau « Présent? » de Jeanne Benameur.

– Les attachants de Rachel Corenblit, Editions du Rouergue, 2017, 192 pages –

35 réflexions sur “Les attachants– Rachel Corenblit

  1. maghily dit :

    Il a l’air très beau ce livre. Je le note, ne serait-ce que pour me conforter dans l’idée que j’ai fait le bon choix en ne me lançant finalement pas dans l’enseignement.

    Décidément, j’ai l’impression que tu découvres souvent de jolies petites pépites qu’on ne voit pas partout ! 🙂

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