La femme de Gilles – Madeleine Bourdouxhe 

Dans le malheur le temps passe vite, quoi qu’on en dise. Aucun point de repère ne peuple le temps révolu, aucune joie ne distingue un jour d’un autre. Rien que du lamentable, toujours le même.

Les premiers mots

« Cinq heures…Il va bientôt rentrer… » se dit Élisa. Et voilà qu’à cette idée elle ne peut plus rien faire.
Elle a frotté, lavé, fourbi durant toute la journée, elle a préparé une soupe épaisse pour le dîner – ce n’est pas la coutume du pays de manger lourdement le soir, mais c’est nécessaire pour lui qui, à l’usine, ne déjeune que de tartines aux oeufs. Et maintenant, ne fût-ce que pour mettre le couvert, ses bras s’engourdissent et retombent inertes le long de son corps. Un vertige de tendresse la fige, immobile et haletante, accrochée des deux mains à la barre de nickel du fourneau.

De l’histoire de ce livre, je ne veux que vous dire qu’il s’agit de l’histoire d’Élisa, la femme de Gilles, celle qui se cache derrière son rôle d’épouse et de mère, celle qui s’oublie et qui attend. « Il n’y a que ce morne aujourd’hui qui n’en finit pas…Depuis des mois, elle attend que se lève l’aube d’un second jour. »

À peu près vingt ans après ma première lecture de La Femme de Gilles, j’ai relu ce livre dans l’exemplaire de l’époque où j’ai retrouvé les phrases soulignées et des post-it qui ont survécu à mes déménagements. Mais surtout je me rappelle pourquoi j’ai tant (tant tant tant) aimé ce livre : l’amour aveugle d’Élisa pour son mari Gilles et la catastrophe annoncée dès que Victorine, la sœur d’Élisa, s’éprend à son tour de lui et réciproquement.
Elisa ne vit que pour Gilles, elle « n’est qu’attente« , le retour de son mari après son travail à l’usine signe le moment où Elisa peut de nouveau respirer. Le moment où tout bascule n’arrive pas d’un coup, non, c’est d’abord une sensation, puis des réminiscences des jours précédents, une parole énoncée par Gilles, un sourire de Victorine… Élisa décompose ce qu’elle voit pour comprendre si ce qu’elle pressent est véridique ou si ce ne serait dû qu’à son état de fatigue, « De chaque image se détachait, petite abstraction douloureuse, une nouvelle parcelle de conclusion.« 

Demain, il faudra souffrir encore…Chercher, découvrir, espérer ou désespérer. Et repenser sans cesse à ces yeux étranges, chargés d’inconnu, qui brillaient au centre des gestes familiers. Gilles ne m’aime plus…et comme le monde est triste.

Au fil des mois, Elisa se perd, mais garde espoir de retrouver son mari. Cependant plus le temps passe, plus la passion de Gilles pour Victorine se fait de plus en plus forte et tout s’effrite, se désagrège.

Madeleine Bourdhouxe a 31 ans quand elle publie La Femme de Gilles, son deuxième roman. Avec ce livre-ci elle accède à une belle renommée, tant pour l’histoire que pour son écriture qui va au plus près des sens de ses personnages. En s’attachant à nous faire ressentir les émotions d’Élisa et de Gilles, elle permet de toucher à l’intime. La simplicité des mots mêlés à une construction parfaite centrée sur le temps qui passe, donne à ce livre une force renouvelée à chaque lecture.

J’espère sincèrement vous avoir donné envie de découvrir ce petit bijou de la littérature belge.

La femme de Gilles de Madeleine Bourdhouxe
Éditions Labor, Collection Espace Nord
256 pages,
1937 pour la publication originale.
 Les classiques c’est fantastique

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