Celui qui va vers elle ne revient pas – Shulem Deen

C’était la crainte de l’inconnu qui m’incitait à garder la foi. Si je cessais de croire, me disais-je, qu’adviendrait-il de moi? Cesserai-je aussi de manger casher? De faire shabbat? Irais-je danser à la synagogue sans mon chapeau? Et qu’en penseraient les entremetteurs?

Les premiers mots

Je n’étais pas le premier à être banni de notre communauté. Je n’avais pas rencontré mes prédécesseurs, mais j’en avais entendu parler à voix basse, comme on chuchote une rumeur honteuse. Leurs noms et le récit de leurs agissements émaillaient l’histoire de notre village, fondé un demi-siècle plus tôt. On évoquait dans un mur-mure ces êtres subversifs qui avaient attenté à notre fragile unité : les quelques belz qui avaient souhaité former leur propre groupe de prière ; le jeune homme qui aurait été surpris en train d’étudier les textes fondateurs de la dynastie hassidique de Bratslav, et même le beau-frère du rebbe, accusé de fomenter une sédition contre lui. Tous avaient été bannis, comme moi. Mais j’étais le premier qu’on bannissait pour hérésie.

Banni. 5 lettres de honte parce qu’il s’est posé les questions interdites par les Juifs hassidiques. On remonte le fil de vie de Shulem et on découvre comment le monde extérieur est arrivé à lui et comment sa foi a commencé à décliner.

C’est une plongée saisissante dans une communauté qui cadenassent toute ouverture vers la modernité. Certains s’en accommodent très facilement mais d’autres comme Shulem ne supportent pas cette vie et toutes les injonctions sur chaque acte du quotidien. Il remet sans cesse en question les lois établies par le Talmud, réfléchit à ce qui l’entoure et comprend petit à petit, entre effroi et excitation, que ce monde-là n’est pas celui qu’il veut habiter. La lecture est un des points de départ de son questionnement mais aussi Internet qui est pour lui une incursion fascinante et terrifiante.

Ainsi que je l’apprendrais par la suite, beaucoup de croyants ayant perdu la foi perçoivent dans les apports de la recherche scientifique le catalyseur de leur changement de vision du monde. C’était mon cas : la plupart de mes lectures dans ce domaine me déconcertaient. Les idées que j’avais toujours tenues pour acquises, confiant dans la parole des rabbins, certains que les textes sacrés recelaient des vérités absolues, m’apparaissaient désormais comme douteuses, voire fallacieuses. L’univers n’avait pas six mille ans, comme je l’avais toujours cru, mais plutôt quatorze milliards d’années ;

On pourrait penser qu’une fois sorti de sa communauté, il serait empreint d’une joie de vivre et d’un certain enthousiasme à goûter aux interdits… Même si dans un premier temps cela est le cas, il se rend vite compte de la solitude qui l’englobe et de son manque des codes sociaux pour aborder les autres personnes. Il découvre un monde bouillonnant aux antipodes de sa vie réglée comme du papier à musique.
Même si le jugement peut être facile, j’ai essayé de lire ce témoignage sans préjugés. Pour compléter cette lecture, je vous suggère la mini-série Unorthodox qui aborde le point de vue d’une femme quittant sa communauté de Williamsburg pour Berlin.

Celui qui va vers elle ne revient pas de Shulem Deen
Traduction de l’anglais (États-Unis) par Karine Reignier-Guerre
Éditions Points
480 pages, janvier 2019
En sortir 21 en 2021 (3/21)

17 réflexions sur “ Celui qui va vers elle ne revient pas – Shulem Deen

  1. lilly dit :

    J’ai beaucoup aimé ce livre lu en fin d’année dernière, ainsi que la série « Unorthodox ». L’extrémisme religieux, qui pousse à exclure des gens, parfois de sa propre famille, pour avoir refusé l’étroitesse du moule qui leur était destiné, est une vraie plaie.

    Aimé par 1 personne

  2. Marie-Claude dit :

    Je l’ai eu en grand format dans ma pal. Je l’avais commencé, puis reposé. La froideur du style m’avait freiné. Je me rends compte qu’il n’est plus dans ma pal! Il semble être passé dans la trappe lors d’un élagage extrême. Oups…

    Aimé par 1 personne

Si vous souhaitez me laisser une trace de votre passage...