Un paquebot dans les arbres – Valentine Goby 

Rien ne manque. Rien n’excède. Tout suffit.

Les premiers mots

Mathilde Blanc traverse le cadre des fenêtres. Elle disparait, chaque fois plus lente, à la façon d’un automate en fin de course. Elle s’arrête, à cause de l’arthrose. De l’effroi. Elle regarde la ruine autour d’elle. La glaise et la poussière à la pointe de ses chaussures. Son père est mort il y a cinquante ans jour pour jour, le 1er juillet 1962. Elle a voulu ce pélerinage dans le théâtre de la maladie, et aussi du plus grand amour; mais du sanatorium d’Aincourt il ne reste rien.

Mathilde se souvient parmi les ruines du sanatorium, de sa vie, de celle de son père et de la douloureuse histoire familiale. Avec délicatesse et une infinie justesse, Valentine Goby nous dévoile la famille Blanc. Celle-ci habite un village français, dans les années 50. La famille Blanc, c’est Paulot, Odile et leurs trois enfants, Annie, Mathilde et Jacques. Le café du couple est un lieu de fête connu de tous, on y danse, on y chante, on peut même y boire à l’oeil.
Dans cette famille, les personnalités sont affirmées. Paulot est le bon vivant, celui qui rassemble, celui qui a le mot pour rire. Odile est plutôt réservée et rappelle à son homme d’avoir les pieds sur terre. Annie, l’aînée, est la fille préférée de Paulot, celle qu’il fait danser. Mathilde, c’est le garçon manqué, celle du milieu, celle qui vient après un décès. Jacques est le garçon tant attendu.

Alors que leur monde s’effrite peu à peu à cause de la maladie du père et ensuite de la mère, qu’ils doivent déménager, qu’ils sont exclus de tout, qu’ils doivent se faire soigner au Sanatorium d’Aincourt, Mathilde va se battre telle une guerrière pour sauver sa famille et se sauver elle-même. Elle va devoir puiser dans ses forces pour persister à l’explosion de cette famille. Les parents étant hospitalisés, les deux derniers enfants seront placés dans des familles d’accueil, Annie s’est mariée et a « presque » fui cette maison de malheur.

C’est un cri d’amour, une preuve d’amour d’une fille pour ses parents et surtout pour ce père qu’elle adore et idolâtre.

C’est une danse étrange que celle de Mathilde sur ce fil, son corps penchant toujours du même côté, lesté du poids d’amour qu’elle porte à Odile, Paulot et Jacques; du côté de l’oubli de soi.

Que j’aime les mots de Valentine Goby. Ses mots et ses émotions. Dans ce livre, elle nous décrit les dérives du système français de l’époque, les tuberculeux étaient remisés au Sanatorium, telle des bêtes. On ne les voulait pas dans le village. Et puis pour se soigner, valait mieux avoir droit à la sécurité sociale! Ce que les parents Blanc n’avaient pas. C’est aussi un terrible portrait d’une jeune femme. Rien ne lui est épargné: la faim, le froid, la solitude, la mesquinerie, les faux-semblants. Mais elle se relève, à chaque fois, car elle acceptera quelques mains tendues et trouvera une force intérieure monumentale, pour survivre et pour garder le lien entre ses parents, son frère et elle.

Parce que, contrairement à la mièvre métaphore bucolique d’un romancier que Mathilde lira un jour, la tuberculose n’a pas la grâce, la fragilité, la délicatesse du nénuphar, nulle fleur d’eau ne pousse dans le poumon de Paulot comme celui de Chloé chez Boris Vian.

Dans les romans lus de l’auteure, j’y trouve la même sensibilité et la même lueur d’espoir. La lumière jaillit entre les mots, comme dans Banquises et Kinderzimmer et y joue un rôle salvateur.

Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby, Edition Actes Sud, 2016, 270 pages

Ce livre rentre dans la catégorie « Un livre de la rentrée littéraire de septembre«   du Challenge littéraire 2016 de Mille vies en une.

20 réflexions sur “ Un paquebot dans les arbres – Valentine Goby 

    • lespagesversicolores dit :

      « Banquises » est superbe! C’est le premier livre lu de Valentine Goby et j’ai complètement été charmée. Ici, le sujet ne m’attirait pas au début et puis à la lecture, tout est si beau et si bien amené, qu’on ne résiste pas.

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  1. Laeti dit :

    Je n’ai jamais lu encore Valentine Goby, malgré l’encensement autour de son dernier titre, dont le sujet ne m’attirait pas du tout! Cette histoire que tu décris pourrait davantage me convenir, j’aime les histoires familiales! Rien ne presse, mais si j’ai l’occasion… pourquoi pas!

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  2. celina dit :

    Un roman qui recueille de belles critiques, la preuve avec ton billet ! Il fera partie de mes lectures. J’avais noté « Kinderzimmer » pour découvrir l’auteure que je n’ai jamais lue mais ce sera d’abord « Banquises » je crois, ce sera moins dur, et comme tu l’as beaucoup aimé…
    😉

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