L’échappée – Valentine Goby

Elle cherche dans le miroir le visage de sa jouissance. Elle ne voit rien. Ce visage n’appartient qu’à Joseph Schimmer.

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Les premiers mots

Madeleine grelotte. Elle souffle sur ses doigts. Une main après l’autre. Un froid mouillé s’engouffre sous sa jupe. Elle plaque sa jupe contre ses cuisses. Les arbres nus succèdent aux arbres nus, découpés sur le ciel gris mauve. Elle fixe le ruban d’asphalte. Elle serre le châle sur sa poitrine. Le nœud se défait. La laine oscille contre sa joue, énervante. Elle enfonce le bonnet sur ses oreilles. Elle pédale à toutes jambes. La dynamo frotte contre la roue. C’est une vibration légère, berçante.

Ne paniquez pas, je ne vous livre pas l’intrigue mais je voulais commencer ce billet en dévoilant le procédé final choisi par Valentine Goby:  l’auteure nous propose trois fins. Comme trois rêves comme trois possibilités d’avenir pour Madeleine. Trois échappatoires pour imaginer un autre avenir pour cette jeune femme française qui dix-sept ans plus tôt, en 1941, est tombée amoureuse de la mauvaise personne, un officier allemand, du nom de Joseph Schimmer. Cet amour a pris forme de la plus douce manière qui soit, par la musique. Madeleine travaille à l’Hôtel des Ducs à Rennes. Un jour, un des allemands a besoin d’une tourneuse de pages pour un de ses morceaux de piano. Il va la choisir alors qu’elle ne lit pas la musique.

-J’ai besoin d’une main pour tourner les pages… Mademoiselle ?
C’est elle qu’il regarde. Appuyée au mur d’en face, la patronne, Elena, fixe Madeleine, stupéfaite. Il faudrait dire : « Je ne connais pas la musique », mais Joseph Schimmer le sait déjà. Ils le savent tous.

Quelque chose se passe en elle, un tremblement intérieur, une envie. Elle essaie de combattre cet amour naissant mais c’est sans compter la réciprocité des sentiments de Joseph à son égard. Malgré qu’il soit allemand et elle française. Ces sentiments la font revivre, la font devenir enfin femme. Elle dont la mère lui coud des vêtements pour cacher toute forme de féminité « Les hommes t’attrapent par les yeux et le reste suit. Quarante mille Boches à Rennes, tu vas connaître par cœur le bout de tes chaussures. Me fais pas de saloperie, Madeleine. », elle dont la mère préfère le frère.  Joseph lui apprend le monde de la musique et les compositeurs, il lui joue les plus beaux morceaux. Mais bientôt, il souffre de ses mains, elles ne lui répondent plus et il ne peut plus jouer aussi souvent. Un jour Joseph part pour ne plus revenir. Madeleine attend son enfant. À la libération, elle est de celles qu’on tond car elles ont couché avec l’ennemi. On leur tatoue une croix gammée sur la poitrine pour qu’aucun homme ne puisse porter le regard sur elles.

« L’échappée » c’est l’histoire d’une fuite pour survivre et la force enragée pour oublier le passé. Seule et abandonnée, elle n’aura de cesse de parcourir la France pour se refaire une vie et tenter de se reconstruire. Avec une percée dans la tête de Madeleine, on est aussi écrasé par la violence qui peut se dégager de ces pages. La honte et le déshonneur auxquels elle doit faire face sont constants, où qu’elle aille, elle ne peut se défaire de la faute qu’elle a commise. Même si elle a vécu le plus bel amour de sa vie.

Les premières pages m’ont déroutée par leur manque d’informations, je n’arrivais pas à comprendre Madeleine et sa façon d’être. Et puis la magie opère et les mots deviennent limpides. Les passages sur cet amour interdit sont sublimes mais ce qui l’est davantage est le chapitre où Madeleine parle en « je ».

Alors les gens crachent. Je les laisse faire. Ils finissent par se taire. Ils n’ont plus de haine, j’imagine, terrassés par la douleur. Je les comprends. Le ciseau m’a tranché l’amour à moi aussi, m’a perforé le rêve, jusqu’à aujourd’hui je me persuadais que Joseph Schimmer allait revenir, je l’ai pensé, éperdument. Pour moi comme pour eux, c’est fini.

Je suis heureuse d’être « tombée » sur ce livre dans un magasin de seconde main, je n’en avais pas entendu parler et je n’ai pas tardé à le lire. J’ai retrouvé l’émotion de « Banquises », la tension dramatique de « Kinderzimmer » et la force d’une femme de «  Un paquebot dans les arbres ». 

– L’échappée de Valentine Goby, Édition Gallimard, 2007, 230 pages – 

19 réflexions sur “L’échappée – Valentine Goby

  1. Eva dit :

    Je ne connaissais pas ce livre de Valentine Goby – j’ai beaucoup aimé « Kinderzimmer » et « Un paquebot dans les arbres » et j’ai vraiment envie de découvrir d’autres romans de cette brillante auteure
    ps : j’aime beaucoup la photo 🙂

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  2. Nad dit :

    Bonjour Fanny,
    Il y a si longtemps que je ne suis pas venue ici. Voyage, vacances, travail, les enfants… 🙂
    Mais c’est toujours un plaisir de venir t’y retrouver. J’adore Valentine Goby, je n’ai pas encore eu l’occasion de lire celui-ci. Et justement sur ma table de chevet en ce moment il y a « Un paquebot dans les arbres ».
    Merci pour ce beau billet, bisous

    Aimé par 1 personne

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