J’ai longtemps eu peur de la nuit – Yasmine Ghata

Cette valise était devenue une maison de fortune dans ce paysage aux mille collines.

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Les premiers mots

Ce jour-là, les élèves étaient très dissipés. Une femme est entrée dans la salle de classe vous priant de regagner vos chaises et d’observer le silence. Elle a écrit son nom au tableau. Elle a ensuite posé la craie délicatement et vous a regardés avec des yeux perçants. Tu n’étais pas très concentré, tu ne comprenais pas la raison de son intervention. Elle a longuement parlé des anciens objets de famille. Tu t’es dit que cet atelier d’écriture ne s’adressait sûrement pas à un orphelin exilé comme toi. 

Une valise comme objet rapporté pour un atelier d’écriture..

Une pipe comme bouée de sauvetage pour ne pas sombrer.

Une valise comme lit de fortune.

Un bout de papier pour demander pardon.

Une valise comme réceptacle pour boire.

Un rasoir comme relique d’un père.

Une valise comme protection.

Une valise qui devient presque humaine

Une valise qu’Arsène considère comme un prolongement de lui-même

Une valise qui fait remonter des mots/maux que le jeune garçon a voulu oublier.

Les objets que Suzanne a voulu garder en souvenir de son père décédé trop tôt.

La valise d’Arsène qu’il a rapportée du Rwanda. Sans elle, il ne serai pas vivant. 

Elle te donnait à boire chaque jour à heure fixe comme si c’était son devoir de le faire, un minimum vital pour ne pas te perdre, toi qui n’avançais plus qu’en titubant, écrasé par la fatigue et le désespoir. Vous étiez deux sur ce chemin. Seul, tu n’aurais pas survécu.

Une histoire de valise et de mots qu’Arsène et Suzanne vont partager ensemble. Trouver les mots et enfin les écrire. Comme pour exorciser. Comme pour faire revenir les disparus. Comme pour signifier « je ne suis pas mort ». 

Le parallèle entre les deux histoires permet de s’immiscer dans la tête des deux personnages. Suzanne, la professeur et Arsène l’élève. Ils ont perdu chacun des êtres chers, et même si leur histoire n’est pas du tout semblable, ils arrivent à extraire les maux qui les cadenassaient depuis longtemps 

Le périple d’Arsène m’a prise aux tripes. Comment un si jeune garçon a-t’il pu survivre au massacre de son village? Comment a-t’il eu la force de marcher seul à travers la nature ? Grâce à la valise de sa grand-mère donnée la veille de son départ du village. Avant le massacre. Avant la fin de son innocence. 

Comme pour nous donner du souffle et reprendre nos esprits, Suzanne nous conte sa vie. Son père est décédé alors qu’elle n’était qu’une enfant. Sa survie à elle, ce sont les objets qu’elle a gardés. Ce sont les souvenirs d’un appartement où elle a vécu ses plus belles années. 

J’ai été profondément touchée par ces deux histoires. L’auteure amène beaucoup de tendresse et de délicatesse entre ces deux personnes qui petit à petit, au fil des discussions, vont se connaitre et apprendre l’un de l’autre. 

Un livre qui se lit vite mais qui se garde en tête. 

Les beaux billets de Marie-Claude, Noukette et de Delphine-Olympe (grâce à qui j’ai découvert ce livre).

– J’ai longtemps eu peur de la nuit de Yasmine Ghata, Editions Robert Laffont, 2016, 216 pages – 

14 réflexions sur “J’ai longtemps eu peur de la nuit – Yasmine Ghata

  1. Laeti dit :

    Je suis impatiente de le lire à mon tour, grâce à toi 🙂 De ce que j’en lis sur les blogs, le procédé d’allier présent et passé a de fortes chances de m’intéresser. Ah oui et c’est vrai c’est écrit en « tu »! c’est original. Bref, l’occasion de poursuivre sur le thème après « Petit Pays »!

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