Patricia– Geneviève Damas

Offre-lui une vie qui vaut le prix de sa traversée.

Les premiers mots

Je vous attendais, Patricia. J’espérais que vous viendrez. Du café, je scrutais le port. Cela fait trois jours. Je me disais:  » Il y a peu de chances pour qu’elle vienne, mais on ne sait jamais. » Quand vous avez marché sur la jetée, je vous ai reconnue tout de suite. Je ne pouvais voir les détails de votre visage, mais à votre manière d’avancer, cette manière d’avancer toujours, j’ai su que vous étiez arrivée.

Ce livre aurait pu s’appeler Jean Iritimbi ou Vanessa, car c’est eux qui subissent l’horreur d’être migrants. Mais non. Ce roman porte le nom de la sauveuse et non des sauvés. Elle n’a pas choisi l’homme qu’elle allait aimer, cet Africain, sans-papiers qui végète depuis une dizaine d’années au Canada et elle décide alors de le ramener en France. Son pays. Grâce au vol de papiers, Jean Iritimbi devient un autre et peut s’enfuir. Pourtant il cache un lourd secret. S’il est resté autant de temps au Canada à bosser dans des endroits minables c’était pour faire venir sa femme et ses deux filles, pour enfin être réunis. Arrivé à Paris, il apprend que sa famille est en route et qu’elle va arriver par bateau. Ces fameux bateaux de fortune.

A vous, je ne peux pas tout dire, avec vous, je ne peux pas tout partager, Patricia.

L’écriture de Geneviève Damas m’avait déjà séduite avec « Si tu passes la rivière » et j’ai retrouvé cette même délicatesse avec « Patricia« . Elle a décidé de découper son livre en trois parties dont chacune s’attache à un personnage: d’abord Jean Iritimbi, ensuite Patricia et enfin Vanessa. Par ces trois regards, le roman prend de l’ampleur et les personnages endossent une intensité dramatique et belle. En quelques pages seulement, Geneviève Damas parvient à planter un décor et une atmosphère que j’ai eu du mal à quitter.

Je n’appartiens à personne.

L’histoire de Jean Iritimbi est une histoire que beaucoup de migrants vivent et revivent. On pourrait se demander pourquoi lire ce livre, mais simplement parce que le message délivré est tout de même porteur d’un petit espoir. Arriver dans un pays où tout nous est inconnu et n’avoir personne autour de soi sont des situations que des milliers connaissent et peu ont une Patricia à leur côté. Geneviève Damas rend hommage à ces hommes et femmes qui n’ont parfois rien demandé mais qui par le coup du sort se retrouvent à aider à leur manière grâce à leur bienveillance et font que ces êtres perdus redeviennent eux-mêmes et les soutiennent pour qu’ils trouvent une modeste place dans le monde. Même si c’est difficile, même si rien n’est couru d’avance, car accueillir une personne déracinée est tout sauf un chemin tranquille.

Emmenez-la, Patricia. Emmenez-la avec vous, celle qui me reste, je vous en supplie. Elle est mon bien le plus précieux.

Le 06 juin 2017, j’ai pu rencontrer Geneviève Damas grâce entrevue organisée par une librairie à Bruxelles. L’autrice est revenue en profondeur sur la genèse de ce livre. Elle a expliqué qu’elle avait quelques craintes à faire parler des migrants et que plusieurs versions de ce roman ont été écrites pour finalement arriver à ce format de livre choral. C’est une personne qui sait de quoi elle parle. Elle anime des ateliers d’écriture dans des centre comme Fedasil et a même accueilli des MENA chez elle. L’histoire des migrants, elle la connait. Elle s’est aussi rendue à Lampedusa pour comprendre, au du moins, essayer de comprendre les drames qui se jouent dans la Méditerranée. Elle a partagé son périple et ses rencontres pendant une semaine dans le Journal Le Soir, journal belge. 

Elle a aussi partagé avec le public sa vision de la lecture comme le fait que  » La lecture, c’est une expérience de vie augmentée » et que l’écrivain doit mettre la pensée des lecteurs en mouvement.

J’ai beaucoup apprécié cet échange qui a révélé une femme sensible, ouverte sur le monde et très accessible.

– Patricia de Geneviève Damas, Editions Gallimard, Collection Blanche, 2017, 136 pages – 

6 réflexions sur “Patricia– Geneviève Damas

  1. Marie-Claude dit :

    Tout magnifique! L’intrigue, la rencontre et la dédicace.
    J’ai l’idée qu’il s’agit d’un roman choral pour aborder cette délicate problématique. Et toute cette bienveillance me plaît beaucoup. Tout ça pour dire que… je le note évidemment!

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