La langue des bêtes– Stéphane Servant

Celui qui sait lire peut comprendre le monde. Celui qui écrit peut le changer.

Les premiers mots

Les renards arrivent avec la nuit.
La Petite les entend avant de les voir.
Leurs pattes comme des marteaux d’orfèvres font sonner l’écrin brun des bois.
Une minuscule tambour fouetté par les doigts têtus de l’automne naissant.
Au-delà des carcasses de voitures, là-bas, à la lisière de la forêt, les brindilles claquent, les carapaces craquent. Partout, les lapereaux frissonnent. Et les renards tremblent bien plus qu’eux. 
La Petite le sent.

Il était une fois le Puits aux Angesle temps s’écoule, fluide, léger. La Petite et ses parents, Belle et le Père appelé l’Ogre.
Ils vivent  entre des carcasses de voitures, autour d’un chapiteau qui n’a plus que le nom. Ils sont entourés d’anciens saltimbanques du cirque déchu. Tous sont aux petits soins pour la Petite, ils lui racontent des histoires, des contes qui l’enchantent et lui font voir le monde autrement. Elle ne va pas à l’école, alors pour apprendre des nouveaux mots, elle les avale, elle laisse fondre des morceaux de papiers sur sa langue et s’en imprègne totalement.

Quand tu connaîtras tous les mots,tous les mots qui sont dans les livres, le monde n’aura plus de secrets pour toi. Alors à ce moment là, tu seras grande. Lis, Petite, ne t’arrête jamais de lire. Les mots sont la soupe de l’âme.

Mais bientôt, leur tranquillité est perturbée par l’arrivée d’un chantier à proximité. Celui-ci compte empiéter sur le territoire des artistes et la Petite sous les ordres d’une assistante sociale devra se frotter au monde, le vrai. Aller à l’école, se mêler  aux autres enfants et découvrir la ville.

Ça ne se fera pas sans cris, sans pleurs et sans peurs. La Petite sera projetée dans un tourbillon de connaissances et commencera à comprendre ce qu’on lui a caché.

La Petite le sent: les gens ont un peu peur d’eux parce qu’ils ne vivent au Puits aux Anges. Parce que le Puits aux Anges est le dernier endroit sur terre où vivent encore les légendes.

La Petite m’a accompagné longtemps après cette lecture. J’ai d’ailleurs écrit ce billet bien des semaines après l’avoir lu mais le souvenir est intact. Cette famille d’artistes marginaux et hors du temps m’a fait vibrer. J’ai découvert en même temps que la Petite ce qu’on lui dissimulait depuis sa naissance. J’ai compris avec elle que le monde enchanteur qui nous est raconté dans notre enfance peut parfois faire plus de mal que de bien.

Les mots de Stéphane Servant sont magiques et m’ont transportée par leur force. La poésie se mêle à la barbarie des hommes, la magie touche du doigt les blessures des uns et des autres.  La beauté s’associe à la mort et l’enchantement se produit. Petit à petit, le mystère se produit et on ne peut que se laisser emporter dans cet univers ensorcelant.
Le fantastique qui ne m’attire pas spécialement, m’a éblouie d’un bout à l’autre et c’est avec tristesse que j’ai laissé partir la Petite

Maman est folle. Maman est folle. Maman est folle. Mon père est un Ogre devenu vieux et fou. Et moi, je suis celle qui ne grandira jamais. Parce que je suis tout ce qu’il leur reste. Les décombres de leur rêves.

Un roman précieux qui a devancé de loin « Le coeur des louves » du même auteur.

L’avis magique de Moka.

– La langue des bêtes de Stéphane Servant, Editions du Rouergue, 2015, 448 pages –

13 réflexions sur “La langue des bêtes– Stéphane Servant

  1. maghily dit :

    Ce livre a l’air d’être une petite pépite ! J’avais vu la vidéo de Margaud Liseuse à son sujet et cela ne m’avait pas spécialement donné envie de le lire. Par contre, avec la lecture de ta chronique, c’est tout autre chose. 😉

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