Pas les mères – Katixa Agirre

Une mère peut être cruelle. Penser le contraire, c’est se soumettre à des préjugés d’un autre âge sur la féminité. La cruauté d’une mère n’est pas forcément lié à la folie.

Les premiers mots

C’est arrivé en plein été.
Un jeudi après-midi.
Ce jour-là, la baby-sitter franchit le seuil de la maison d’Armentia comme on ouvre les portes de l’enfer: à contrecoeur et les joues en feu. Elle s’appelait Mélanie et depuis neuf moi elle apprenait l’espagnol à Vitoria tout en réfléchissant à ce que ce serait la « prochaine étape » de sa vie.

Cela commence comme un thriller de très mauvais goût : une baby-sitter se rend dans la maison où elle doit garder des jumeaux et les découvre dans le lit parental, morts, et aperçoit la mère assise sur un fauteuil, le sein nu qui baragouine la phrase « Maintenant, ils vont bien« .

Dès lors, c’est l’agitation qui règne dans ce quartier tranquille d’un village du Pays Basque espagnol. Les parents sont riches, sans histoires, c’est tout bonnement l’incompréhension.

À Bilbao, à une soixantaine de kilomètres d’Armentia, la narratrice, écrivaine à succès, est en train de d’accoucher de son premier enfant et cette histoire ne lui est pas encore parvenue. Dès qu’elle apprend ce drame, elle a un doute sur l’identité de cette femme prénommée Alice Espanet. Son visage lui dit vaguement quelque chose… Elle se souvient alors qu’il y a des années, cette fille qui s’appelait Jade était venue aider leur amie commune. Quelques mots échangés et puis plus rien jusqu’à l’apparition sur toutes les chaines espagnoles de cette mère infanticide.

Tu vois? Toi aussi tu t’es rendu compte qu’il n’y a aucune essence magique chez les mères, rien qui nous rende capables de résister à absolument tout. Moi, aujourd’hui… Je ne te dirais pas que ça ne me semble pas terrible, évidemment, mais je les trouve crédibles, ces histoires de mères qui dans certaines circonstances abandonnent leur enfant, et même celles qui en finissent complètement…

Comme mue par un désir de comprendre, de curiosité, elle se met en congé sabbatique et part à la recherche du moindre indice pouvant expliquer un tel geste. En parallèle, elle découvre ce que la maternité peut faire aux femmes et pose des mots sans détours sur cette condition idéalisée par toutes et tous.

Ce récit m’a glacée le sang car comme la narratrice, je m’interroge aussi sur ce qui peut pousser les mères à tuer leur(s) enfant(s). D’où viennent ces mères? Que se passe-t-il dans leur tête?

Si on se réfère à l’Histoire, tuer des enfants, tuer ses propres enfants, n’était même pas considéré comme un crime. Pourquoi? Eh bien, parce que les enfants, à l’image des femmes et des esclaves, ont toujours été vus comme une propriété, la propriété de leurs parents en l’occurrence ; c’est encore le cas aujourd’hui dans une certaine mesure. D’ailleurs, au fil des siècles, la méthode la plus efficace pour contrôler la natalité (…) a été l’infanticide. Mais n’est-ce pas logique, si on pense les choses froidement? L’avortement a été, jusqu’à un XXe siècle bien avancé, une pratique à haut risque pour la mère (…) ; mais abandonner son bébé dans le bois, au contraire, est totalement indolore.

C’est avec un ton franc et des recherches approfondies que Katixa Agirre relate l’historique des infanticides qui ont existé de tout temps (de l’Antiquité au Moyen-Âge, à notre époque contemporaine), de tout temps, des femmes ont tué leurs enfants, par vengeance, par mal-être, par…. Aucune réponse claire n’est apportée car les causes sont multiples mais il y a tout de même un terreau de dépression post-partum qui est souvent peu détectée car peu mise en lumière car la nouvelle mère doit « être parfaite, ressentir l’amour, s’abandonner totalement dans ce nouveau rôle« .

J’ai réellement apprécié cette lecture qui ose gratter la maternité-sacralisée.

Pas les mères de Katixa Agirre
Traduit de l’espagnol par Lise Belperron
Éditions Globe
224 pages, mars 2021

34 réflexions sur “ Pas les mères – Katixa Agirre

  1. Usva K. dit :

    Un sujet qui a l’air difficile, mais ta conclusion soulève l’importance de parler du mal-être qui habite parfois la maternité, jusqu’à l’irréparable. Je ne pense pas le lire sous peu, mais je retiens clairement ce titre qui a l’air unique en son genre et sur ce sujet. Merci pour cette chronique ! 🙂

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