Apeirogon – Colum McCann

Je n’ai plus le temps de haïr. Nous devons nous apprendre à nous servir de notre douleur. Investir dans notre paix, pas dans notre sang, voilà ce que nous disons.

Les premiers mots

Les collines de Jérusalem sont un bain de brume. Rami avance de mémoire sur une ligne droite et évalue la courbure du prochain tournant.
À soixante-sept ans, il se penche très bas sur sa moto, blouson rembourré, casque bien fermé. C’est une moto japonaise, une 750 cc. Un engin aigle pour un homme de son âge.
Rami ne ménage pas sa moto, même par mauvais temps.

Il y a des histoires d’oiseaux dans ce livre, des histoires d’oiseaux, de bombes et de pierres. Et entre ces éléments, deux pères. Un Israélien et un Palestinien. Amis et pères endeuillés par la mort de leurs filles respectives.

Comme je le dis toujours, découvrir l’humanité de votre ennemi, sa noblesse, est un désastre, parce qu’il n’est plus votre ennemi, il ne peut plus l’être

Colum McCann écrit ici un livre bouleversant (ce mot est tellement faible…).
Les fils qu’il tisse entre les différents chapitres, très courts, de son récit se rapportent tous à la tragédie que vivent Bassam et Rami et si l’auteur parle d’oiseaux, de camps de concentration, de poètes, de bracelets en bonbon, de traversée de la mer Morte… C’est pour raconter l’indicible. On pourra penser que tout n’est que digressions. Mais non, tout est justement et profondément lié.
Quand on sait que ces deux hommes existent, qu’ils sont véritablement amis alors que leurs pays se déchirent depuis tant d’année, le récit nous prend aux tripes pour ne plus nous lâcher.

Ce n’est pas juste une histoire de perte et de deuil que l’auteur a voulu nous transmettre mais bien l’histoire de ces deux peuples, de ces hommes et femmes qui se retrouvent coincés dans des guerres dont ils ne veulent plus, et avec lesquelles ils ont dû grandir et se former en tant que personne à part entière, sans toujours être rattachées à leur nationalité.

Je ne demande pas forcément que les gens s’entendent tous, ni rien de mièvre ou de farfelu – je demande qu’il leur soit permis de s’entendre.

Rami et Bassam font partie des Combattants pour la paix. On comprend aisément les valeurs que ces deux pères ont voulu léguer à leurs enfants et leurs croyances dans le pouvoir de la discussion et de la possibilité de la paix. Mais ce n’est pas aussi simple. Quand on grandit dans la haine de l’autre, il faut de la résilience pour passer au-delà de ces préjugés, pour l’un ce sera après la mort de sa fille : faire le choix de la vengeance ou autre chose. Pour l’autre, c’est son séjour en prison et la vision d’un documentaire sur l’Holocauste.

Apeirogon m’aura amenée loin…Avec une tendresse infinie pour ces deux pères, pour ces peuples…Il fera aussi partie de ces livres qui ont changé quelque chose en moi, qui m’ont poussé à connaitre davantage ce qu’il se passe là-bas.
Je ne voudrais lire que des livres aussi forts, je ne voudrais lire que des romans qui changent mon monde et le monde.

En janvier 2020, je commençais l’année avec un livre époustouflant, Anima. Cette année encore j’ai le souffle coupé dès janvier avec Apeirogon.

– Apeirogon de Colum McCann, traduit de l’anglais (Irlande) par Clément Baude, Editions Belfond, Août 2020, 512 pages –

Et terminer avec Mahmoud Darwich
Vous, qui tenez sur les seuils, entrez
Et prenez avec nous le café arabe.
Vous pourriez vous sentir des humains, comme nous.
Vous, qui tenez sur les seuils,
Sortez de nos matins
Et nous serons rassurés d’être comme vous,
Des humains!

32 réflexions sur “ Apeirogon – Colum McCann

  1. maghily dit :

    J’étais passée complètement à côté de ce roman mais ta chronique ne peut que donner envie de s’y plonger.

    Je te rejoins sur le besoin de trouver des livres qui nous bousculent et qui nous font voir le monde autrement. Ils nous nourrissent et nous font grandir. 🙂

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    • mespagesversicolores dit :

      J’avais lu deux-trois chroniques et j’avais craqué en librairie… Quelle belle idée j’ai eue 😁 ( oui je m’auto-congratule..)

      J’avais eu la même impression avec Le temps où nous chantions de Richard Powers.. ( tu sais que qu’il te reste à faire…)

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