Delicious Food – James Hannaham

Il y a des problèmes (et des gens) qu’on ne peut pas réparer, même quand on est un bricoleur hors pair.

Les premiers mots
Après s’être évadé de la ferme, Eddie conduisit toute la nuit. Il lui semblait de temps à autre sentir le frôlement de ses doigts fantômes sur ses cuisses, mais, au-delà des poignets, il n’avait plus rien. Le tissu éponge qui enveloppait ses moignons était maculé de taches sombres; sa mère avait stoppé l’hémorragie avec des câbles gainés.

Eddie, 17 ans, amputé des deux mains, sorti de nulle part, est en train de fuir on ne sait quoi ou qui.
5 ans plus tôt, à 12 ans, ne voyant pas sa mère revenir, il part à la rencontre des personnes qui auraient pu l’apercevoir.
Beaucoup, beaucoup plus tôt, on découvre l’histoire de cette mère, Darlene et du père du garçon, Nat, de leur amour d’abord interdit puis de leur passion et enfin leur petite vie qu’ils s’étaient construite à trois jusqu’au drame.
Nat disparu, Darlene sombre, littéralement. Incapable de faire face au deuil, elle trouve dans le crack un réconfort, un ami. Et cet ami aura une voix toute particulière dans ce roman.

La suite se passe dans une ferme nommée Delicious Food, plus proche de l’exploitation des ouvriers que d’une ferme agricole. L’enfer sur terre où les travailleurs sont maltraitées avec comme carotte pour continuer leur labeur, leur dose de drogue journalière.

Bientôt Darlene dit Eddie, Eddie dit maman, et ils répétèrent ce dialogue rudimentaire; ils avaient été si éloignés de la réalité de l’autre qu’il fallut cet échange pour redonner à chacun son existence.

Eddie, Darlene et la drogue. Ce sont ces trois personnages-là qui se succèdent tout au long de ces pages.
Donner la parole à chacun est primordial pour comprendre tout le mécanisme que les stupéfiants ont comme effet sur le cerveau des personnes dépendantes: amis, amants, séducteurs…

Eddie, Darlene et la drogue, donc. J’ai rarement lu un livre qui transcrivait aussi bien l’état de délire des toxicomanes.
Je n’ai lu que peu de livres qui décryptent aussi adéquatement l’horreur d’avoir une mère toxico.
J’ai ici ressenti véritablement la haine profonde des blancs envers leurs ouvriers noirs, dépendants de leurs bons vouloirs pour leur ration de drogue.
L’auteur parvient à nous faire éprouver toute la cruauté des maîtres de cette ferme, et surtout à nous montrer jusqu’où un fils peut aller pour aider sa mère.

Le récit est unique en son genre. On reconnaît aisément les trois voix des personnages, les tics de langage de chacun.

Les infimes longueurs ressenties n’ont pas altéré mon intérêt pour les destins des personnages.

La traduction n’a pas dû se faire s’en mal et c’est une prouesse que d’avoir réussi.
Je mémorise dès maintenant le nom de James Hannaham.

– Delicious Food de James Hannaham, traduction de Cécile Deniard, Éditions Globe, août 2020, 400 pages-

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