J’ai toujours ton coeur avec moi – Soffía Bjarnadóttir 

La femme qui m’avait élevée, seule et à son étrange manière, n’était plus. Elle était pourtant là, quelque part, à l’arrière-plan, comme les montagnes et l’océan.

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Les premiers mots

Lorsque Siggy est morte, j’ai eu envie de réclamer ses yeux à l’entrepreneur des pompes funèbres. Je me demandais si l’on pouvait hériter d’une paire d’yeux. S’il était courant que les proches du défunt réclament leurs organes favoris. J’imagine ses pupilles qui me fixent effrontément depuis l’au-delà. Je n’ai toutefois jamais formulé cette requête et, avant que j’aie eu le temps de dire ouf, Siggy était redevenue poussière. Ses yeux, des étoiles dans un ciel de ténèbres. 

Et si la mort d’une mère pouvait signer une seconde naissance? 

Siggy est morte et Hildur ressent comme un trou dans son cœur à l’annonce de ce décès. Pourtant elle ne l’a plus vue depuis si longtemps.
Entre elles, ça n’a jamais été l’amour fou ni l’amour fusionnel. À seize ans, Hildur quitte le domicile conjugal, comme son frère quelques années auparavant. Pourquoi?

Parce que la vie avec Siggy était impossible. Emprise avec un mal qu’on pourrait qualifier de bipolaire, cette mère n’avait aucune conscience de ce qu’elle pouvait faire endurer à ses enfants. Hildur étouffait, devait se protéger pour survivre à la cohabitation avec cette mère insaisissable. 

Aussi loin que je me souvienne, maman a toujours brûlé de l’intérieur, comme Narcisse, elle était en quête de sa propre flamme.

Hildur se réfugie chez sa grand-mère qui lui offre une vie aux allures à peu près normale. Mais elle ne peut rester plus longtemps, elle a besoin de s’éloigner encore plus. Elle parcourt le monde et devient archéologue.  Et puis cet appel téléphonique d’Islande la chamboule, elle doit assister à l’enterrement et surtout revenir sur les traces de sa mère.

Une fois sur l’île, elle retourne dans la maison léguée par la défunte, que va-t-elle pouvoir trouver? Comment sa mère va-t-elle encore la surprendre? Deux hommes changeront ce voyage. Il s’agit de Kafka, surnom pour l’amant sa mère et David, un homme aux yeux vairons qui l’émeut et l’obsède. 

Elle repense à sa vie, sur cette relation étrange, sur les mécanismes de défense qu’elle a dû inventer contre sa mère, comme de s’imaginer insecte, s’imaginer au-dessus de cette mère et filtrer la réalité.

J’avais appris depuis l’enfance à ne pas trop ressentir. Je plaçais un filtre devant l’objectif et débranchais le câble qui reliait les nerfs et autres vecteurs d’émotion à la centrale cardiaque. Excellent moyen de ne plus se soucier du monde et de n’autoriser personne à s’approcher.

Je pourrais continuer à écrire les citations qui m’ont troublée tout au long de l’histoire, mais je crains de ne recopier tout le livre. Ce petit bijou d’une petite centaine de pages est une réelle surprise. J’avoue, j’avais déjà été charmée par le billet de Célina et il me tardait de le découvrir.

Le livre flotte entre le réel et l’imaginaire. Hildur utilise des métaphores pour expliquer ses remparts contre sa mère et le réel nous ramène douloureusement à la mort. Comme un poème, il nous transporte parmi les beaux paysages de l’Islande, j’y ai vu la brume qui s’élève, les phoques et les elfes secourant les âmes perdues.

Je savais que les rochers de Hellissandur abritaient des elfes. Je voulais prendre la mer et demander aux mystérieuses créatures d’invoquer un phoque pour qu’il m’emmène avec lui.

Il faut accepter de se laisser prendre par la main et de se laisser guider par Hildur. J’ai lu quelques avis négatifs sur Babelio qui reprochent à ce livre de ne pas être « clair », de jouer sur les sous-entendus… Ce procédé me parle beaucoup plus que si tout était écrit noir sur blanc.

La mort est tristement présente et pourtant, je n’ai pas ressenti de lourdeurs. Les chapitres sont courts et permettent de souffler, d’observer la vie de Siggy et de s’interroger sur ses intentions envers ses enfants. J’ai aimé voir l’évolution d’Hildur, qui a hérité, malheureusement, du caractère dépressif de sa mère mais qui tout doucement, retourne à la lumière et puise dans ses forces pour s’extraire de ce destin. Comme le souligne Célina, « Beaucoup de ténèbres, certes, mais aussi une belle lumière. « 

En cette nuit de novembre, je me vois soudain pétrie d’optimisme et de force de vivre. S’appartenir à soi-même, être en accord avec ses désirs et ne pas en avoir honte.

– J’ai toujours ton coeur avec moi de Soffia Bjarnadottir, Editions Zulma, 2016, 142 pages- 

23 réflexions sur “J’ai toujours ton coeur avec moi – Soffía Bjarnadóttir 

  1. celina dit :

    Chère Fanny, quel beau billet ! Je suis sincèrement ravie que tu aies été touchée par ce livre.
    Je sors de ma tanière pour te le dire (pas très présente en ce moment sur les blogs mais je lis tes billets, sache le 🙂 )
    Tu sais, ce roman continue à m’accompagner ; sa musique, si particulière, je l’entends encore…et ces moments sur l’île…comme tu le dis, on est transporté par ce poème.
    A découvrir, absolument !!!

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  2. Laeti dit :

    Je n’avais pas du tout entendu parler de ce roman! Les thèmes ont tout pour me plaire, la famille, le deuil, le retour aux sources, les souvenirs… Je suis intriguée par cette contradiction : Hildur quitte sa maman et ne la revoit pas, et semble très perturbée par son décès (qui ne le serait pas, ceci dit). Je le note, donc!

    Aimé par 1 personne

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