À l’instant même où il l’a embrassée, elle a su qu’elle s’était trompée. Il ne saurait pas la remplir. Elle aurait dû s’enfuir.
Les premiers mots
Une semaine qu’elle tient. Une semaine qu’elle n’a pas cédé. Adèle a été sage. En quatre jours, elle a couru trente-deux kilomètres. Elle est allée de Pigalle aux Champs-Elysées, du musée d’Orsay à Bercy. Elle a couru le matin sur les quais déserts. La nuit, sur le boulevard Rochechouart et la place de Clichy. Elle n’a pas bu d’alcool et elle s’est couchée tôt.
Mais cette nuit, elle en a rêvé et n’a pas pu se rendormir. Un rêve moite et interminable, qui s’est introduit en elle comme un souffle d’air chaud.
J’ai rencontré Adèle un jour de décembre. Telle une toxicomane à la recherche de sa dose. Mais ici, il n’est pas question de drogue mais de sexe. De sexe pour le sexe, sans sentiments, sans pudeur, sans raison.
Elle est assez forte pour mener une double vie. Pour les uns, elle est cette belle journaliste, mariée à Richard, médecin, et mère de Lucien. Et pour ces hommes qui la rencontrent, c’est une femme qui désire et qui sait ce qu’elle veut. Elle ose aborder des inconnus à n’importe quel moment, quand son désir se réveille. Un désir maladif.
Dans son amnésie flotte la rassurante sensation d’avoir existé mille fois à travers le désir des autres.
Je l’ai suivie dans ses conquêtes et inévitablement ses mensonges. Heureusement, elle peut compter sur son amie Lauren pour la couvrir.
Ses rencontres sont mécaniques, froides malgré les corps qui se mélangent et se cherchent. Ses désirs sont brutaux et parfois à la limite de la violence. Mais elle n’y peut rien. On le comprend assez vite.
Mais petit à petit, une fêlure se dessine. Adèle perd le contrôle. Cela fait tant d’années qu’elle est prisonnière de ce corps.
Son mari ne se doute de rien et l’aime d’un amour absolu, peut-être un peu naïf, ce qu’il souhaite le plus au monde est de la rendre heureuse. D’ailleurs, il projette d’acheter une maison à la campagne, loin du tumulte de Paris. Mais Adèle n’est pas prête à abandonner ses amants et sa double vie. Elle ne veut surtout pas devenir femme au foyer.
Adèle a fait un enfant pour la même raison qu’elle s’est mariée. Pour appartenir au monde et se protéger de toute différence avec les autres. En devenant épouse et mère, elle est nimbée d’une aura de responsabilité que personne ne peut lui enlever. Elle s’est construit un refuge pour les soirs d’angoisse et un repli confortable pour les jours de débauche.
Rien ne l’attire à part l’acte sexuel. Ses obsessions sont trop présentes et ce depuis si longtemps qu’elle n’arrive pas à faire marche arrière et qu’elle se met en danger.
Leila Slimani m’a emmenée dans les recoins obscurs du désir féminin, dans la tête d’une femme au bord du précipice.
L’écriture est comme le personnage, froide, clinique. Comme un couteau aiguisé, elle s’insinue dans le mental d’Adèle avec férocité. Les scènes sont assez explicites pour comprendre l’état d’esclave auquel Adèle est tenu. « Esclave de ses pulsions que rien ne rassasie« .
La fin m’a laissée perplexe. Je suis ressortie de cette lecture avec un sentiment mitigé envers le personnage. Je la trouvais pathétique et émouvante car au fil des pages elle apparaît comme brisée et soumise.
Note: ce livre m’a fait penser au film « Shame » qui aborde l’addiction sexuelle d’un homme et interprété par le beau Michael Fassbender.
– Dans le jardin de l’Ogre de Leïla Slimani, édition Gallimard, Collection Folio, 2014, 228 pages –
oh le film Shame ! très bon souvenir de ce film, quelle solitude et tristesse. Le livre pour ma part, pas trop mon truc mais tu en parles très bien, très jolie chronique !
J'aimeAimé par 1 personne
Merci!
Garde le souvenir du film alors 😉 et comme tu dis, il est empreint de tristesse et de solitude tout comme l’héroïne du roman…
J'aimeJ'aime
Comme on en a discuté sur IG, je partage la même impression que toi : j’ai trouvé ce personnage complexe, qui ne m’a pas spécialement émue. J’étais à la limite du dégoût parfois. Mais ce que Leïla Slimani a brillamment réussi avec ce premier roman, c’est de rendre cette histoire hautement addictive. J’ai beaucoup aimé Shame 😉
J'aimeAimé par 1 personne
Il est certain qu’on ne ressent pas beaucoup d’empathie pour le personnage mais c’est la façon dont le sujet est traité qui est intéressant. Comme tu dis, Leila Slimani le rend addictif!
J'aimeJ'aime
Troublant…cela m’intéresse, la sexualité féminine dans ce qu’elle a de plus cru, addictif, mais je ne sais pas si j’aimerais une écriture froide.
Quant à « Shame », c’est un film que j’ai aimé mais quelle tristesse ! Un acteur excellent, incroyable.
J'aimeAimé par 1 personne
Si je peux me « permettre », au vu de tes lectures, il manquera quelque chose pour que tu te sentes touchée. MAIS peut-être que non … Si tu veux sortir de ta zone de confort! 😉
Et oui ce film est juste et a su me troubler! ( À moins que ce ne soit l’acteur…😀)
J'aimeAimé par 1 personne
Eh oui…..;-)
J'aimeJ'aime
Il m’attend celui là, je me demande ce que je vais en penser !
J'aimeAimé par 1 personne
J’aimerais connaître ton avis une fois que tu l’auras lu! Peut-être regretteras-tu un peu de sensibilité…
J'aimeJ'aime
Il m’avait agacé pour tout un tas de raisons ce roman. Du coup je n’ai pas envie de lire son nouveau qui vient de paraître.
J'aimeAimé par 1 personne
J’ai lu ton billet et en effet on ressent bien ton agacement!
Moi par contre son nouveau roman me tente…😉
J'aimeJ'aime
Cette critique m’a intriguée… Un sujet pas banal, j’ai assez envie de voir comment l’auteure le traite!
J'aimeAimé par 1 personne
L’écriture est assez « froide », à toi de voir si ça peut te plaire 😉
J'aimeJ'aime
Je n’avais pas fais le lien avec le film Shame mais maintenant que tu le dis ils se ressemblent beaucoup, mais je crois que j’ai été plus touchée en lisant Dans le jardin de L’ogre, par cette femme perdue dans une société, une femme enfant qui se cherche et qui meurt de lassitude, de la vie même.
J'aimeAimé par 1 personne
En tant que femme j’ai aussi été touchée par cette femme et sa manière de gérer sa vie et celle de sa famille. Merci de ton passage .
J'aimeJ'aime