Les échoués – Pascal Manoukian

Résumé : 1992. Lampedusa est encore une petite île tranquille et aucun mur de barbelés ne court le long des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Virgil, le Moldave, Chanchal, le Bangladais, et Assan, le Somalien, sont des pionniers. Bientôt, des millions de désespérés prendront d’assaut les routes qu’ils sont en train d’ouvrir.
Arrivés en France, vivants mais endettés et sans papiers, les trois clandestins vont tout partager, les marchands de sommeil et les négriers, les drames et les petits bonheurs.

Les premiers mots

L’été était brûlant. Même les roses cherchaient de l’ombre. Virgil ne sentait plus ses jambes. Elles étaient restées trop longtemps croisées l’une sous l’autre, tels la faucille et le marteau des drapeaux rouges de son enfance. 

Il n’osait pas bouger. Le chien, un bâtard gris aux crocs jaunes, rôdait toujours.

On commence avec Virgil.  On terminera avec lui. Les yeux mouillés, le ventre noué et l’envie irrépressible de tendre la main et le cœur à ces âmes arrachées. Virgil, le Moldave, le courageux, l’homme fort et habile de ses mains, qui attend patiemment d’avoir de l’argent pour amener femme et enfants.

Des bouts de paradis à l’eau turquoise et au sable fin, où chaque été des Blancs venaient s’allonger sur des serviettes de bain rêvant de devenir un peu plus noirs. Et où des milliers d’Africains allaient bientôt s’échouer, le ventre gonflé d’eau en rêvant, eux, de devenir un peu plus blancs.

On continue avec Assan. Assan, le Somalien et sa fille Iman, qui a vécu l’horreur de l’excision. Assan n’a plus qu’elle. Il doit la protéger du regard que les hommes pourraient avoir sur cette sa belle. De la Somalie en France, ils ont été à deux et ils veulent le rester, quitte à blesser, à tuer.

Il faut être prêt à tout arracher à plus misérable, plus fragile, plus découragé que soi.  C’est aussi ça, la clandestinité.

Et on rencontre Chanchal, le Bangladais. Qui ne peut pas retourner au pays, car c’est un « honneur » de partir pour devenir riche.

Depuis son arrivée en France, personne ne l’appelait plus jamais par son prénom, et il aurait jamais imaginé qu’avec le temps il puisse lui-même l’oublier. C’est ça aussi, l’exil, quelques lettres choisies avec amour pour vous accompagner tout au long d’une vie et qui brusquement s’effacent jusqu’à ne plus exister pour personne.

Je le savais, je le sentais que ce livre allait me remuer. 

Leur histoire, on les a vues, on les a entendues, on est peut-être même allé donner des vêtements et des vivres dans des centres. Mais au fond, on ne sait jamais ce qu’ils ont vécu pour arriver dans ce qu’ils pensent être un Eldorado. Et surtout ce qu’ils continuent à vivre une fois arrivés à bon port: humiliation, violence, viol, esclavage… déshumanisation.

Toutes leurs galères, toutes leurs tentatives aussi brèves qu’inutiles parfois, m’ont serré le cœur et m’ont parfois fait espérer que le livre allait basculer dans un happy end imaginaire. Mais non, leur vie ne devient jamais, ou rarement, un joli conte. Parfois, ils rencontrent un Monsieur Julien qui leur donne de l’espoir mais oh… c’est tellement rare. 

Pascal Manoukian nous entraîne dans leur quotidien avec beaucoup de réalisme mais aussi de la poésie, des chansons et des rêves.

Olélé, mon courageux, va

va dire aux mères de retenir les bateaux

aux pères de rester près de leurs enfants

dis-leur la violence, la peur, et la solitude

Ce livre est une pépite douloureuse mais au combien nécessaire. Avec ma profession de formatrice, je côtoie des personnes qui ont tout quitté, qui ont laissé des enfants au pays, et chaque fois, j’espère de tout cœur que ce que je leur apporte les aidera à trouver du courage  et du répit. 

C’est donc un gros coup de cœur pour le premier roman de cet auteur. Merci à La Fée Lit de me l’avoir fait découvrir.

 – Les échoués de Pascal Manoukian,  Éditions Don Quichotte, 2015,  304 pages. 

7 réflexions sur “Les échoués – Pascal Manoukian

    • lespagesversicolores dit :

      Le sujet n’est pas si actuel que ça malheureusement. Le livre raconte l’arrivée en France de ces migrants au début des années 90…Mais je peux comprendre : on en a beaucoup entendu parlé ces derniers mois donc peut-être que tu dois attendre un peu mais je te le recommande vivement 🙂

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  1. eibhileen dit :

    Merci de m’avoir fait découvrir ce livre qui semble être une « bonne » lecture (si on peut dire ça comme ça…) pour ouvrir les yeux sur le sujet des migrants. J’avais lu un livre jeunesse il y a quelques temps sur les réfugiés à Lampedusa. Il m’avait semblé trop superficiel. Je rajoute donc Les échoués à ma wishlist qui me semble, certes plus cru que le livre jeunesse, mais sans doute plus poignant et une lecture nécessaire comme tu le dis si bien.

    Aimé par 1 personne

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